Adina Balint - 10 janvier 2011

Susan Collett : artiste plasticienne torontoise

Susan Collett habite et travaille à Toronto. Céramiste, elle modèle l'argile et la porcelaine, elle réalise aussi des gravures et entre 2004-2007, elle crée une collection de tapis en cuivre, intitulée The Flying Carpet Series . Depuis les années quatre-vingts, les projets de Collett tentent de penser les limites du réel et du fantasme, « la vie en mouvement », « la lumière et l'ombre », « les formes du désir et de la beauté », et laissent des marques de singularité dans des grandes galeries et musées du monde : Le Musée de la Porcelaine de Sèvres (2010), Burlington Art Centre, Canada et Ceramic Artists Association of Israel (2009), Sofa Chicago (2008), pour ne citer que ces contributions.

Labyrinth Series: Hive Trumpet: 107cm H x 58 cm W x 69 cm D
(182 cm H on steel pedestal)
Maze:Series Traverse: 76 cm H x 25 cm W x 22 cm D
Travertine .13"W x 9"D x 29"H
Year: 2009
Material : Earthenware Paper Clay
Techniques used: Hand-built, multi fired glaze layers
Photographer' Nicholas Stirling Toronto

 Lineage Vl 38"H x 24"W
Year: 2010
Materiials: print pulled from stitched copper sheeting
Techniques used : Monoprint & drypoint
Photographer: Nicholas Stirling, Toronto

Les ouvres de Susan Collett travaillent d'emblée les frontières poreuses du visible et de l'invisible. Chez elle, la matière fond dans des contours imaginaires, déchirants et déchirés, et la transgression se donne comme aventure possible, même harmonieuse. Il y a une certaine symétrie, une fine attention pour le détail, une grâce du regard porté aux choses qui nous font dire que l'artiste canadienne travaille la beauté plus que tout autre catégorie esthétique sombre, violente ou laide. Le travail de Collett vibre : son art ne nous éloigne pas du réel, mais nous donne l'occasion d'une perspective neuve sur la réalité, originale, profonde et aventurière.

L'ayant découverte à la Foire Internationale de l'Art à Toronto (TIAF) qui se déroule chaque automne à la fin du mois d'octobre, j'ai suivi l'ouvre de Collett dans diverses publications d'art ( Ceramic Review International, Contemporary Ceramics ), sur le site web : www.susancollett.ca , ainsi que dans son studio situé dans une jolie rue ancienne de Toronto. Je me souviendrai d'un jour dans ce studio comme du moment où je compris qu'il y a des rituels et des mouvements de la main, de l'oil et de la pensée qui donnent du sens à l'existence. Une visite dans un studio d'artiste est la preuve même que l'art vit, change, grandit. Chez Collett, il est assez frappant d'observer une bienveillance et une féminité des gestes. La complicité entre l'artiste et sa création habite l'espace de travail et lui donne une lumière de l'ordre du sacré ; le lieu est plus qu'un simple espace physique, il est le medium d'une naissance, un désir incarné, un appel qui prend forme et se fixe en matière.

Susan Collett dit vouloir tenter « une création qui donne sens à l'existence » ( Espace Sculpture Magazine, n o 79, printemps 2007). Par sa philosophie de création, l'artiste explique comment chez elle, estampe et sculpture en argile se complètent : «  Travailler avec de l'argile influence ma gravure, et encourage une approche non orthodoxe de la déchirure, de la perforation, ce qui se reflète au retour dans les estampes. Les monotypes incorporent des points secs sur des plaques composées de feuilles de cuivre industriel que je maille et reconstruis, ce qui permet l'imagerie à grande échelle. Comme la tabulation dans la série en céramique Labyrinth , je réaffirme la perception de la fragilité et l'éphémère » (texte en anglais en ligne : http://www.susancollett.ca/bio/statement/index.html ).

Le travail de Collett s'articule sur le signe de la quête d'une vérité du monde et du désir. Tout au long de ses productions, elle s'attache à donner expression à des rapports divers entre forces contradictoires : le liquide et le solide, l'eau et la matière, les éléments de la nature, la clôture et l'ouverture, l'ancien et le moderne. Pour le regardeur attentif, cette vision se révèle aussi dans le choix des matériaux tantôt mous, tantôt solides, l'argile et le cuivre. Autrement, les titres et les sujets des installations montées par Collett apparaissent comme des clin d'oil à l'histoire : Impluvium, terme latin qui désigne un large bassin situé sur le sol de l'atrium de la maison romaine, destiné à collecter les eaux de pluie, est un projet qui travaille la rencontre de l'eau, de l'air et de la matière ; Labyrinthe fait penser au mythe de Dédale (mais dont le fil d'Ariane serait enroulé sur les branches) et Tapis volants renvoie de manière détournée à la mythologie orientale et à l'imaginaire de Mille et une nuits. Ces imbrications, va-et-vient entre présent et passé, nous entraînent dans un univers ludique d'analogies. En passant par l'histoire, par l'écriture (l'artiste répertorie des vignettes et des notes de travail où elle décrit l'histoire de la décoration d'une cheminée ou un projet de design intérieur ), Collett nous donne à voir le monde, son monde, intéressant et ouvert à différents médiums : sculpture, gravure, décoration intérieure ; et texte, texture.

Le travail de l'artiste avec la lumière et le mouvement mérite qu'on s'arrête un instant. D'une part, les formes spiralées et ondoyantes donnent à penser la tension entre stabilité et possibilité de tourner autour d'un axe ; immobilité et fuite, le point et la spirale. Ces formes qui font figures de vases à fleurs ouvertes vers le haut  tendent vers le ciel, s'ouvrent à la lumière, aspirent vers le sacré. La transcendance est-elle ici possible ? D'autre part, la lumière et l'ombre laissent voir les perforations de ces ouvres. Les rais de soleil percent l'argile ou la porcelaine, éclatent la surface lisse et la projette vers d'autres horizons, vers d'autres interprétations. Dans l'art, il s'agit de pouvoir saisir des rencontres passionnantes avec l'autre, avec l'imprévu, le neuf.

Chez Collett, entre ludique et pensée, se glisse une métaphore filée sur l'impossibilité de retenir la lumière, l'eau ou l'air ; une interrogation sur la nature glissante des éléments, car on le voit, il est impossible de poser/imposer des frontières, délimiter des milieux, des matières. La transgression paraît inhérente. L'artiste explore les différents plateaux de l'existence humaine ( life's layers ) et notre obsession de trop vouloir (re)tenir , éternellement vouée à l'échec. Mais ce travail parfois pénible, éprouvant, menacé de s'écrouler, est aussi salvateur : il entraîne la possibilité de recommencer, donc de travailler, de chercher par-delà le rituel répétitif absurde d'un Sisyphe.